vendredi 2 septembre 2011 | By: Al karawen

Démocratie : Une approche axiomatique



Définition : L’axiomatisation d'une théorie est un procédé qui consiste à organiser celle-ci en la fondant sur des axiomes, et à en déduire rigoureusement des théorèmes. L’ensemble des axiomes ne peut être contradictoire, et ne peut être remis en cause dans la théorie elle-même.


L’axiome démocratique : On peut trouver différents concepts et applications de la démocratie qui peut être parlementaire ou non, libérale ou sociale, directe ou indirecte. Toutefois, toutes ces variantes ne remettent jamais en cause un principe immuable qui est la souveraineté du peuple (indépendamment de son application concrète). On va appeler cet axiome l’axiome du peuple.


On verra par la suite que toute théorie démocratique qui part de cet axiome devra respecter un ensemble de contraintes pour satisfaire le principe de cohérence.


1/L’axiome du peuple est unique : 

Le concept de souveraineté du peuple empêche que l’on lui associe un autre axiome lors de la construction de la théorie démocratique comme par exemple la liberté, la religion, les droits de l’homme, la laïcité... La raison est simple, ces axiomes (leurs formulations) peuvent être en contradiction avec l’axiome du peuple. Cette contradiction peut être binaire (le peuple veut une constitution religieuse et non laïque, l’axiome religieux postule la laïcité de l’état) ou une contradiction de vision (le peuple a une vision de la religion qui n’est pas celle formulée par l’axiome). Le seul cas où l’on évite la contradiction est quand l’axiome correspond exactement à la volonté du peuple, et dans ce cas, pourquoi le formuler en un axiome séparé ?


Prenons l’exemple du traçage de la droite pour schématiser le problème. On a besoin uniquement de deux points pour tracer la droite, et on ne saurait trouver une droite qui passe par trois points que dans le cas, rare, où ils sont alignés, et où le (un) troisième point appartient à la droite déjà définie par les deux autres points.


Concrètement (si on se projette dans le cas tunisien), on ne peut pas dire, par exemple, que la démocratie doit être conditionnée à un respect de l’islam puisque il ne s’agit plus de démocratie. Si les tunisiens veulent être athées ou chrétiens ou bouddhistes alors c’est leur droit et on ne peut imposer à la prochaine assemblée constituante de respecter et de consacrer ce qu’on considère comme ligne rouge comme le premier article de l’ancienne constitution. (Il s’agit d’un exercice de logique, et non pas l'avis de l’auteur). Le même raisonnement s’applique aussi avec les droits de l’homme et les libertés fondamentales qui sont des concepts relatifs dont la formulation doit revenir aussi au peuple. Ainsi, et à titre d'exemple, le pacte républicain doté d'un pouvoir supra-constitutionnel est contraire à l'axiome du peuple et ne peut nullement s’inscrire dans une logique démocratique.
"Les libertés individuelles et les droits fondamentaux de la personne doivent être garantis par une déclaration à valeur supra-constitutionnelle placée au-dessus des droits de l'Etat. Elle sera opposable par le citoyen devant toutes les juridictions et garantira les libertés de conscience et d'expression, d'association et de réunion, les libertés politiques et syndicales et la liberté numérique pour tous".    Ahmed Najib Chebbi
Le même concept contredit toute inertie historique imposée du genre : la Tunisie était musulmane depuis 14 siècles et elle doit le rester. Non, la démocratie exprime ce que pense le peuple – ensemble d’être vivants – à l’instant t=présent, et non ce qu’a pensé et pratiqué leurs parents et grand parents (ou eux-mêmes à un instant passé). Il contredit aussi toute soumission forcée aux conventions internationales et refuse de leur accorder un pouvoir supra constitutionnel, sauf bien entendu si un organisme représentatif du peuple a décidé de les ratifier et de leur donner un tel statut en se donnant le droit de le révoquer à tout moment.


2/ La démocratie est par définition indéfinissable, et non imposable


On entend souvent dire que la démocratie n’est pas la dictature de la majorité mais avant tout la protection des minorités. Ceci est certainement une conception raffinée et noble de la démocratie mais ne peut être LA définition de cette dernière, étant donné que le peuple peut avoir sa propre conception qui soit différente et l’expression de la volonté du peuple est forcément celle de la majorité (à défaut de trouver mieux, et la majorité peut être relative, absolue, qualifiée ou totale). La Démocratie est donc la souveraineté de la majorité (équivalente à souveraineté du peuple) et ne sera pas une dictature de la majorité que si cette dernière accepte de ne pas abuser de son pouvoir. (on ne peut qu’espérer ceci puisqu’on ne peut pas contraindre la majorité à ne pas le faire dans un cadre démocratique). La démocratie n'est pas forcément la dictature de la majorité mais ne peut écarter ce risque.


Le même axiome veut que le peuple ait le droit ou non de choisir un régime démocratique. S’il veut par exemple se soumettre à un dictateur, c’est son droit le plus légitime. C’est dans  ce contexte que l’exclusion de partis non démocratique peut être une violation de l’axiome démocratique.


3/ Démocratie instantanée et engrenage démocratique


Le peuple peut très bien prendre des mesures pour protéger ce qu’il considère comme régime démocratique. Ainsi il peut par exemple voter (directement ou pas) une loi qui empêche la participation de partis non démocratiques aux élections. Cette décision est parfaitement démocratique à l’instant t. Toutefois, supposons que le peuple ait changé d’avis et veut (une majorité écrasante) élire un parti non démocratique à l’instant t+1. N’est-il pas en train de subir sa propre dictature (ou celle de la projection du peuple sur l’axe temporel à l’instant t) ?


De la même manière, on  peut exiger une majorité qualifiée pour voter ou amender une constitution pour garantir une certaine stabilité au régime démocratique. Toutefois, supposons qu’à l’instant t+1 jusqu’à l’infini, on aura un pourcentage constant du peuple entre les deux majorités absolues et relatives (par exemple 60%) qui veut modifier la constitution et qui ne peut donc le faire. N’est-on pas donc une forme de gouvernance non démocratique puisque elle va contre l’avis de la majorité ?


Supposons aussi que le peuple ait voulu d’un parti non démocratique (parti qui promet d’instaurer une dictature) à l’instant t=présent, et qu’il ait changé d’avis à l’instant t+1 pour se rendre compte qu’il n’a plus le choix. N’a-t-il pas cédé sa propre souveraineté d’une manière totalement démocratique ?


4/ La démocratie : Un équilibre instable


Prenons une modélisation simple avec deux états : Démocratie et dictature. Supposons que l'on soit à l’instant t =1 dans l’état démocratique. L’axiome du peuple exige que l’on ait la liberté de rester dans le même état ou de basculer dans une dictature. Toutefois, l’inverse n’est pas vrai puisque le retour n’est plus possible, l’axiome du peuple n’étant pas valable dans l’état de la dictature. Ainsi, rien ne garantit qu’un régime parfaitement démocratique reste comme tel même si on se tient à des modalités parfaitement démocratiques.

Mot de la fin :


Cet article est un début de réflexion concernant l’axiomatisation de la théorie démocratique. L’article ne se veut donc ni un éloge ni une critique de la démocratie elle-même. Toutefois, il met en lumière certaines faiblesses structurelles de tout régime démocratique et certaines incohérences dans les applications démocratiques de point de vue axiomatique.


Une analyse plus réaliste (et donc moins théorique) aurait abordé les procédés qui altèrent les mécanismes d'une démocratie tout en respectant formellement les règles du jeu démocratique. Ainsi on cite les moyens d’influence dans toute démocratie comme l’argent et les médias. Ces derniers peuvent confisquer le vrai pouvoir du peuple en l’orientant où l’on veut qu’il aille, sans violer - formellement - sa souveraineté. Une critique peut être aussi faite au système démocratique indirect ou représentatif, où on peut assister à une naissance d’une oligarchie politique bien qu’on reste dans un cadre parfaitement démocratique.

6 commentaires:

Lili a dit…

un peu trop compliqué pour ma cervelle , en ce moment saturée -_- mais j'ai bien apprécié.
( je viens d'apprendre de nouveaux mots )

Si j'ai bien compris : cette "abstraction" qu'est la démocratie doit être remise en question et non pas défendue et adoptée aveuglement, puisque des lacunes existent ( comme tu as essayé de démontrer par certains exemples ) ,et puisqu'il existerait une certaine manipulation pouvant discrètement amener à la souveraineté de la dictature sous le couvert du jeu démocratique ( lui même corollaire de cette aproche axiomatique )... et par conséquent ce postulat jusque là (plus ou moins) irréprochable est sujet à une éventuelle faillite .

(j'ai l'impression de discuter d'une problématique métaphysique :p )

Al karawen a dit…

C'est que l'article manque d'exemples concrets et que je me suis exprimé d'une manière ambiguë et pas claire :D

Honnêtement, l'idée est de prendre comme axiome la souveraineté du peuple et de voir tout ce que ça implique (ce que j'ai fait pour le fun et pas avec une arrière pensée pour ou contre la démocratie)

Le respect de cet axiome (avec un raisonnement jusqu'au-boutiste) implique certaines contraintes comme son unicité (chose à laquelle je crois profondément, et qd j'ai dit qu'il faut pas prendre l'Islam comme ligne rouge, c'est parce j'ai pas à choisir à la place du peuple, et parce que j'ai aussi une confiance presque aveugle que le peuple va respecter de lui même cette ligne rouge, et c'est vrai pour toutes les libertés fondamentales à un certain degré).

Ensuite, j'ai critiqué ceux qui disent que la démocratie est le respect des minorités, et j'ai dit que ce n'est vrai que si la majorité adopte cette vision, et qu'elle accepte de ne pas abuser de son pouvoir (D'ailleurs toutes les démocraties sont des dictatures de la majorité dans certains cas quoique disent certains)

toutefois, le respect de cet axiome met la lumière sur une sorte de fragilité de tout système démocratique, comme le fait qu'il peut conduire à une dictature (exemple de Hitler...), ou le fait d'exiger une majorité qualifiée (strictement > 50%, généralement 2/3) peut être compatible avec l'axiome du peuple qd la décision a été prise, mais peut violer cette axiome dans le futur.

Le fait que j'ai mis en relief la fragilité de la démocratie ne veut pas dire que je la refuse, il faut l'adopter (on n'a pas mieux) mais qu'on soit au moins conscient de ses limites.

"La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres" Churchill

J'ai l'impression que ce commentaire est plus clair que mon article et c'est graçe à ton commentaire, donc je te remercie :)

Rania a dit…

--"la souveraineté du peuple" la souveraineté d'une partie du peuple ne signifie forcément pas la souveraineté de l'autre
Le peuple n'est pas un vecteur je le représenterais plutôt par...un espace vectoriel!
(hhhhh bahia l3afsa? :p)

--la majorité parfois n'est pas réellement la majorité exp les élections en Tunisie 50% wafia chwaya je ne peux pas considérer ça comme une majorité => depuis les proportions dans l'AC jusqu'aux décisions prises par cette dernière ne représentent vraiment pas la volonté de la majorité
--je n'ai pas compris l'utilité du quote de ANC, ça prouve/renforce quelle idée?

--"S’il veut par exemple se soumettre à un dictateur, c’est son droit le plus légitime." je comprend que nous étions bourrés de démocratie pendant 50 ans sans s'en rendre compte!

--démocratie instantannée alors là as3eb mel Lemme mta3 Cauchy!!

Al karawen a dit…

chnouwa behiya, ti heyla hal 3afsa :p

Ih un espace vectoriel bien entendu mais je dirais de dimension 1, et cette dimension c'est ce que pense le peuple, et ce que pense le peuple s'exprime à travers une majorité à défaut de trouver mieux.

La majorité c'est la majorité même si c'est 50.001%, c'est vrai qu'on aurait voulu éviter ce genre de scénarios mais ça peut arriver (Bush en 2000, Aubry contre Royal)

ANC a dit qu'il faut une déclaration supra-constitutionnelle et je trouve que c'est totalement anti démocratique puisque ça viole la souveraineté du peuple.

LoL, non, les tunisiens n'ont pas voulu se soumettre à un dictateur, et c'est pour ça qu'il y a eu une révolution. Sur ce point on s'est pas compris du tout.

Pour démocratie instantanée, j'ai juste voulu dire qu'une action peut être prise d'une manière démocratique et nous mener vers des situations non démocratiques.

Pour la dictature de la majorité, j'ai pas défendu ce concept, j'ai juste dit que la majorité est toujours souveraine, et qu'il faut espérer qu'elle ne tourne pas en dictature puisque par définition on peut pas la contraindre.

Et puis, y a aucun exemple de démocratie qui ne soit pas dans certains aspects une dictature de la majorité, qu'on le veuille ou non.

Merci pour ton passage :)

Rania a dit…

Merci pour ces clarifications :)

Lili a dit…

Merci à toi ! ( avec un peu de retard ), il t'a fallu tout reprendre et reformuler, ya3tik essa7a :)

Enregistrer un commentaire