vendredi 16 septembre 2011 | By: Al karawen

Pourquoi j’ai aimé le programme d’Ennahdha



L’absence de programme ! La phrase magique, le couteau suisse qu’on a tout le temps sur soi, et qu’on sort dès qu’on se trouve en face d'une personne qui va voter Ennahdha (un ‘Nahdhaoui’ حاشاكم). Comment ose-on voter pour un parti qui n’a même pas de programme. N’est-ce pas un paradoxe ? Un parti très populaire qui voudrait gouverner un pays – la Tunisie – sans même avoir un programme (un seul, on ne demande pas plusieurs…) ! Un parti qui puise ses ressources dans des écrits qui datent de 14 siècles sans aucun effort d’adaptation, un parti qui vit dans des chimères, qui veut régler des problèmes sociétales et économiques complexes avec des dictons simplistes au point d’être ridicule, du genre : الإسلام هو الحل ou إن الصلاة تنهي عن الفحشاء والمنكر ou encore وما من دابة في الأرض إلا على الله رزقها

Mise à part l’ironie qu’on peut déceler dans mes propos, il y avait peut-être une part de vérité dans l’image décrite ci-dessus, une part de vérité qu’exploitaient certains pour conclure qu’Ennahdha est un parti d’amateurs en politique qui ne fait que manipuler par un discours religieux qui exalte les émotions des électeurs.



Toutefois, il y a avait un 14 septembre 2011, une présentation et un programme… 

Cette note est la synthèse de ce que j’ai aimé dans ce programme (sans prétendre être exhaustif):

1/ Une mise en scène professionnelle (certainement pas le point le plus important mais un détail qui a marqué mon attention)
 
Et oui, c’est quand même bien d’avoir des gens professionnels pour diriger un pays, ne serait-ce que dans la manière de présenter un programme électoral. Personnellement, je fais partie des gens qui aiment voir une audience attentive, une personne qui parle dans un micro, un show laser et une organisation presque parfaite. En tt cas ça m’attire beaucoup plus qu’un simple fichier PowerPoint qu’on cherche sur un site (en même temps, ils n’ont plus d’argent, les sandwichs et la pub coute très cher paraît-il). Le professionnalisme, on l’a vu aussi dans le timing de l’annonce du programme. On peut reprocher à Ennahdha d’avoir tardé à l’annoncer, mais je dirais au contraire, le timing est parfait ! Ça sert à quoi de dévoiler ses cartes avant des mois de l’échéance électorale ? Le programme d’autres partis n’est pas tombé dans l’oubli, justement parce qu’annoncé trop tôt ?

2/ Un programme rassurant

Bien entendu, le parti islamiste inquiétait beaucoup de tunisiens – à juste titre peut être – et c’était intéressant d’entendre un discours clair et net sur ces zones d’ombre. A commencer par la situation de la femme où on avait droit à la charmante سعاد عبد الرحيم sur l’estrade, à une photo d’une jeune demoiselle pas tout à fait en burqa dans la rubrique femme et à une insistance presque répétitive sur les préservations de ses acquis. Du moins on ne se sent pas proche d’un scénario "Afghanistan".

Les inquiétudes tournaient aussi autours du tourisme, mais que dit-on si on trouve toute une rubrique qui en parle en détails, qui recense les faiblesses structurelles et tente d’apporter les solutions, n’est-on pas loin du drame annoncé et de la catastrophe promise si Ennahdha prend le pouvoir ?
 
3/ Un programme pointilleux

L’un des reproches qu’on ne peut pas faire à ce programme est de se contenter de citer des généralités. Déjà il évoque pratiquement tous les sujets, du politique au social en passant par l’économie, l’éducation, la culture, etc... D’ailleurs, il n’hésite pas à proposer des estimations prospectives des taux de croissance voulus ou du nombre d’emplois qui souhaite créer (un nombre qui a fait polémique et qu’on va discuter par la suite), à détailler les mesures fiscales qu’il compte prendre pour allier l’équilibre budgétaire et la relance économique.
 
4/ Un programme pragmatique

Ici, on peut faire un zoom sur le volet économique. On se rappelle le discours de Ghannouchi sur la finance islamique qu’il citait comme la solution miracle à l’économie tunisienne. J’avoue avoir eu peur suite à ce qu’il a dit, mais ce que cite le programme pour ce volet a fini par dissiper mes inquiétudes (du moins en partie). Ainsi, il n’est pas question de transformer la finance traditionnelle en finance islamique mais de favoriser la concurrence entre les deux, et de créer des niches dans les banques traditionnelles afin d’attirer les investissements de la finance islamique. Ceci est déjà fait en Angleterre, commence à être adopté en France, et sera certainement bénéfique pour notre économie. On est loin des caricatures qu’on voyait chez certains, où la finance islamique voulait dire remplacer les impôts par la Zakat…
 
5/ Un programme révolutionnaire

C’est l’un des aspects les plus intéressants du programme dans le sens où il parle explicitement de la révolution et ses objectifs, et notamment la restructuration des forces de l’ordre et la création de mécanismes de contrôle et de missions d’inspection indépendantes pour les superviser, la lutte contre la corruption administrative et le fameux تطهير القضاء

L’aspect révolutionnaire se manifeste aussi dans le choix du régime parlementaire. Sans rentrer dans les détails des deux régimes et les avantages et inconvénients de chacun, il est clair -à mon avis- qu’un régime non présidentiel permet de rompre avec la tradition du dictateur unique dans son genre, visionnaire, qu’il soit bon ou mauvais, corrompu ou pas, je pense qu’on en a assez pour les 50 années passées…
 
6/ Un programme d’ouverture

Des soupçons planaient sur la capacité d’Ennahdha à conserver les bonnes relations de la Tunisie avec l’occident en général et l’Europe en particulier, et on l’accusait de vouloir se tourner vers les pays du golfe, ignorant ainsi les contraintes de l’histoire et de la géopolitique. J’ai apprécié donc la citation explicite concernant l’intention de renforcer les accords bilatéraux avec l’UE et de postuler vers le statut d’associé économique privilégié. On cite ensuite l’Amérique du nord, le Japon, les BRICS, et l’Afrique, mais pas les pays du golfe ou le Qatar.
 
7/ Un programme ambitieux

Sans rentrer dans les tous les détails du programme, je cite un seul exemple, celui des 590 000 emplois promis d’ici cinq ans et qui a fait scandale puisqu’on le compare aux 300 000 promis par Ben Ali sur 2 ans (et non trois). Bah la comparaison ne tient pas pour plusieurs raisons :
  • D’abords parce qu’on n’a aucune raison de faire confiance à un corrompu qui est en place depuis 23 ans, et qui tout d’un coup aura la capacité et la volonté de créer ex-nihilo tous ces emplois. Supposons par exemple que Ben Ali vient nous promettre une croissance de 7% à la place des 5% habituelle. Est-ce qu’on va le croire ? Non ! Toutefois on croit le très respectable منصف شيخ روحو quand il dit qu’une bonne gouvernance et l’absence de corruption peut nous faire monter à 7 et 8%. Le contexte n’est certainement pas le même.
  • La dynamique de croissance est certainement non linéaire : on peut créer plus facilement des emplois lors de la 4ème année que lors de la 1ère pour une même croissance constante et vigoureuse.
  • On vient de vivre une crise aigüe en 2011 (après le 14 Janvier) et une perte d’emplois considérable. On part donc de plus bas (une sorte de rebond mécanique, les exemples historiques sont nombreux)
  • McKinsey (une prestigieuse boite de conseil) a fait une étude prospective sur les perspectives d’emploi et a aboutie à des chiffres proches de ceux d’Ennahdha (information que je tiens d’une source directe ayant travaillé dans le projet) 

8/ Un programme islamique, pas très islamique

Je ne vais certainement pas développer cette partie, le grand philosophe أبو يعرب المرزوقي le fera mille fois mieux que moi et bien qu’il soit encore indépendant, il pourra être la nouvelle star du parti dans le futur, tout comme l’avocate Bochra ben Hmida est devenue la star du parti Ettakatol…


Autocritique

Bien entendu, on peut m’accuser de croire d’une manière presque crédule à ce que disent les dirigeants d’Ennahdha. A ces critiques je réponds par 2 points
  • Si un programme oblige ses détracteurs à lui faire des procès d’intention pour le contrer au lieu d’avancer des arguments pertinents, c’est qu’il est bel et bien réussi.
  • Tout programme est par définition critiquable, et le fait que je n’expose pas de critiques dans cette note ne veut pas dire que j’en ai pas. L’idée est simplement de dépasser le stade de ridiculisation de l’adversaire, des procès d’intention et des insultes gratuites (je n’ai vu que ça ou presque pendant des mois à l’encontre d’Ennahdha) et d’aller vers un débat d’idées et des critiques constructives. D’ailleurs, c’est bizarrement au moment où Ennahdha sort son programme qu’on arrête de parler de programme, comme si c’est devenu secondaire.

Mot de la fin

Ce que j'espère, c'est que ce programme amorcera une période pré-électorale riche en débat politique de haut niveau et donnera une image de la vie politique et des politiciens bien différente de celle qu'on nous a peint pendant des mois et des mois. Reste bien sûr à savoir si tous les belligérants auront le courage, et la bonne foi...

2 commentaires:

Tunisian Smileys a dit…

je ne crois pas mes yeux!! comment se fait il qu'un article comme celui là passe sans le moindre commentaire?!! et ben où sont passé les nabbara!!! rien à dire hein!! voilà une autre preuve que ennahdha est encore une fois en avance face à ses adversaires... très bien kara bonne analyse du moins pour le moment... on attend toujours les critiques et les feedbacks... j'aime et je partage :p

Al karawen a dit…

Merci soeurette :) , ça fait plaisir de te retrouver par ici.

Bon pour l'instant ça va, on me laisse plutôt tranquille.

Nchallah je ferais une autre note pour les critiques que j'ai, mais de vrais critiques pas ceux qu'on entend trop souvent à l'encontre d'Ennahdha.

Sinon, c'est sur qu'ennahdha vient de marquer des points ces deux semaines. J'espère comme je l'ai dit à la fin de la note que ça mettra du niveau dans les débats politiques, amma ya dhnoubi...

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